Pucerons et symbiontes

Les pucerons et leurs partenaires symbiotiques

par Jean-Christophe Simon

Les pucerons entretiennent des relations vitales avec des bactéries symbiotiques qui leur permettent de se nourrir de sève, un milieu pauvre en composés azotés. Ils sont également infectés par d’autres micro-organismes non indispensables à leur survie mais dont les effets sur l’écologie et l’évolution de leurs hôtes pucerons peuvent être d’une grande importance.

Une symbiose obligatoire avec la bactérie Buchnera aphidicola

Beaucoup d'insectes vivent en symbiose avec des micro-organismes qui leur permettent de mieux exploiter les ressources de leurs habitats ou de mieux se protéger de stress environnementaux. Les pucerons quant à eux ont établi depuis plus de 150 millions d’années des relations symbiotiques avec la bactérie Buchnera aphidicola qui leur fournit des acides aminés essentiels et des vitamines en faibles quantités dans la sève des plantes desquelles ils s’alimentent. Sans ce symbiote obligatoire, les pucerons ne peuvent pas survivre et réciproquement pour Buchnera, ce qui crée une interdépendance entre les deux organismes.

Un cortège de symbiotes facultatifs ou secondaires

Cependant, Buchnera n’est pas la seule bactérie hébergée par les pucerons et depuis le début des années 2000, les découvertes de nouveaux partenaires et de leurs effets sur leurs hôtes se sont enchainées. Ces symbiotes, pour la plupart bactériens, sont trouvés généralement à des fréquences intermédiaires dans les populations : tous les individus ne sont pas infectés contrairement à la symbiose avec Buchnera et on parle donc de symbiotes facultatifs ou secondaires. Chez certaines espèces de pucerons comme les Lachninés, des symbiotes tripartites ont pu évoluer où Buchnera et une autre bactérie symbiotique se complémentent pour apporter au puceron les nutriments essentiels à son développement et sa reproduction.

Une localisation des symbiotes dans des organes spécialisés

Les bactéries symbiotiques résident pour la plupart dans des organes spécialisés de l’hôte, appelés bactériocytes, situés de part et d’autre du tube digestif. Une femelle adulte du puceron du pois Acyrthosiphon pisum comprend ainsi environ 90 bactériocytes hébergeant au total plus de 10 millions de cellules de Buchnera. Les symbiotes facultatifs peuvent quant à eux résider dans différents organes internes de l’hôte : ils peuvent par exemple co-exister dans les mêmes bactériocytes que Buchnera ou résider dans des bactériocytes secondaires, dans des cellules en périphérie des bactériocytes et dans l’hémolymphe.

Une transmission de mère en fille avec des transferts horizontaux occasionnels

Les symbiotes sont majoritairement transmis verticalement : Buchnera et autres symbiotes facultatifs sont transférés à un stade très précoce du développement embryonnaire des pucerons. Les embryons reçoivent donc les symbiotes de leur mère in utero. La transmission verticale de Buchnera se reflète dans les analyses phylogénétiques qui révèlent une parfaite co-diversification des deux partenaires depuis l’établissement de cette symbiose. Ce n’est pas toujours le cas des symbiotes facultatifs qui montrent de nombreux évènements de transferts horizontaux entre des hôtes non apparentés. Les voies de transferts horizontaux sont méconnues mais pourraient impliquer des contacts entre congénères, les attaques des ennemis naturels ou l’acquisition via les plantes hôtes.

Des symbiotes aux effets variés et parfois spectaculaires sur leurs hôtes

Alors que le rôle de Buchnera pour les pucerons est bien connu et de nature strictement nutritionnelle, celui des symbiotes facultatifs est très varié et n’est pas toujours bien compris. Les symbiotes facultatifs peuvent ainsi agir sur la réponse à des stress biotiques ou abiotiques, la reproduction, le développement, l’immunité, le comportement et même la couleur. Le puceron du pois est certainement l’espèce pour laquelle les effets des symbiotes ont été le mieux étudiés. Il a été ainsi montré que la bactérie Hamiltonella defensa pouvait protéger les pucerons contre les attaques de guêpes parasitoïdes, que Regiella insecticola rendait ses hôtes plus résistants à des champignons pathogènes, que Rickettsiella viridis modifiait la couleur, que Spiroplasma éliminait sélectivement les embryons mâles dans la descendance, que Serratia symbiotica favorisait ses hôtes dans des conditions de fortes chaleurs. Cependant ces effets bénéfiques s’accompagnent très souvent de coûts physiologiques ou écologiques qui se traduisent par une fécondité ou des défenses comportementales plus réduites pour les pucerons porteurs de symbiotes facultatifs.

Des recherches sur les symbioses aphidiennes très dynamiques

De nombreuses équipes de recherche travaillent actuellement sur les symbioses aphidiennes. Elles étudient en particulier les interactions moléculaires entre les pucerons et leurs symbiotes pour mieux comprendre les effets de ces derniers sur leurs hôtes et comment les pucerons régulent-ils leurs populations de symbiotes. Elles s’intéressent aussi à la dynamique des associations symbiotiques pour identifier les facteurs qui participent à l’acquisition, à l’évolution, à la perte des symbiotes dans les lignées de pucerons. Enfin elles portent sur l’influence des symbiotes dans les réseaux trophiques en s’interrogeant notamment sur les répercussions des symbioses protectrices sur les communautés d’ennemis naturels.

Section d’un embryon du puceron Acyrthosiphon pisum avec marquage des bactériocytes contenant Buchnera (en vert). Photographes : Karen Gaget et Federica Calevro (UMR BF2I).

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Image microscopique obtenue par hybridation in situ en fluorescence (FISH) montrant la localisation et la morphologie des symbiotes du puceron Tuberolachnus salignus (Buchnera en vert et Serratia symbiotica en rouge). Photographe: Alejandro Manzano-Marin.

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Date de modification : 07 février 2023 | Date de création : 16 avril 2019 | Rédaction : Jean-Christophe Simon